L’avis rendu début décembre par le jury Idex et mettant en cause l’autonomie de l’ENS dans le projet d’université-cible a mis un coup d’arrêt au processus de fusion. Il a aussi soulevé de vives inquiétudes dans l’école alors que tout le monde se demande si le président Jean-François Pinton, par ailleurs porteur du projet pour l’Université de Lyon, est encore en mesure de tenir sa promesse plusieurs fois répétée de sortir l’école du projet si les garanties n’étaient plus suffisantes…
Dans ce contexte explosif, n’a pas fallu plus que le coup de projecteur mis sur les politiques d’enseignement supérieur par le projet de LPPR pour mettre le feu aux poudres.
Un silence institutionnel inquiétant
La nouvelle paraît alors même que le conseil d’administration de l’ENS est en réunion : le jury Idex recommande la poursuite de la fusion mais exige une perte d’autonomie budgétaire et institutionnelle de l’école. Le procès-verbal du CA (pas encore approuvé, mais dont nous avons obtenu copie) résume bien la confusion inquiète qui va s’emparer de l’école :
Florence RUGGIERO [élue de la majorité] souhaite savoir ce qu’il adviendrait si l’ENS de Lyon ne suivait pas les recommandations du jury.
Jean-François PINTON souligne que le ministère souhaite que les recommandations soient mises en œuvre, sans imposer la manière d’y parvenir. (…)
Yanick RICARD [VP recherche] fait remarquer que l’ENS de Lyon ne peut se prévaloir de la singularité de l’Ecole Polytechnique et de l’ENS Ulm et que le Gouvernement pourrait être moins ouvert à son égard.
Florence RUGGIERO en conclut que les marges de manœuvre sont étroites et que la question consiste finalement à savoir si le projet d’université-cible doit, ou non, se poursuivre. (…)
Jean-Yves KOCH [extérieur, Capgemini] estime que l’enjeu principal consiste tout d’abord à subordonner la réflexion sur la structure à un projet. (…) Jean-Yves KOCH souligne que les établissements qui fonctionnent le mieux à l’échelle internationale sont ceux qui comptent 5 000 à 20 000 étudiants. Les paramètres de taille et de notoriété sont, selon lui, des sujets qui doivent être traités au plus vite avec la tutelle. (…)
Claude DANTHONY [élu d’opposition] considère que l’avis du jury Idex soulève la question de l’existence et de la survie de l’Ecole et que le sujet mérite en effet réflexion. Il rappelle que depuis le premier vote sur l’Idex, en 2011, beaucoup d’énergie et de temps ont été consacrés au sujet et que les subventions Idex qui sous-tendent le projet devraient être considérées à l’aune des sommes qui ont été dépensées à ce titre. Pour Claude DANTHONY, la meilleure solution consisterait à mettre un terme au projet de regroupement.
Jean-François PINTON souhaite savoir si cette position tient compte des conséquences d’une telle décision concernant les financements Idex. (…)
Yanick RICARD convient de l’importance de la contribution Idex pour l’École, mais rappelle que ses ressources proviennent à 80 % de l’Etat et que l’ENS de Lyon doit donc, avant tout, conserver le soutien du ministère.
Jean-François PINTON fait remarquer que le CNRS oriente d’ores et déjà ses financements vers les établissements labellisés Idex.
Florence RUGGIERO estime que l’enjeu pourrait consister à limiter les conséquences pour l’ENS de Lyon.
Pourtant, cette ébullition en CA ne débouche que sur de longues semaines de silence de la part de la présidence, que l’on sent gênée à l’idée de se confronter publiquement aux retours des communautés de l’école.
Ce silence est seulement rompu le 18 février avec la diffusion d’une « position commune des gouvernances », qui préfigure une révision des statuts de la future université-cible. « J’ai prévu de rencontrer dans les jours et semaines qui viennent les différentes communautés de l’École. (…) N’hésitez pas à faire remonter vos remarques et vos questions », ajoute le mail dans lequel le document est envoyé, sans que l’avis des étudiant⋅es et des personnels soit davantage sollicité dans les jours à venir.
Le même jour, les élu⋅es des étudiant⋅es et du personnel apprennent même que l’ensemble des instances prévues début mars sera reporté de plus d’un mois ! Dommage pour les remarques et les questions.
Les syndicats sonnent l’alarme et appellent au référendum
Dans le même temps, les syndicats de l’École s’échauffent, encouragés par le scepticisme qui croît dans les couloirs des labos où les chercheur⋅ses n’ont pas oublié les promesses de J.-F. Pinton :
« Jean-François PINTON affirme son opposition catégorique à un projet qui entraînerait la dissolution de l’ENS de Lyon. La dispersion des responsabilités dans le dispositif académique et universitaire actuel est d’ailleurs un facteur de dissolution des identités des établissements. Si le projet IDEXLYON devait porter le risque d’une fusion, Jean-François PINTON n’aurait aucune hésitation à appeler à un vote défavorable sur le dossier. » [PV du CA du 15 décembre 2016]
Dans un long communiqué diffusé le 15 janvier (après une version plus courte la veille), la CGT, la FSU et Sud rappellent les conditions fixées par le jury et concluent :
« C’est tout simplement à la disparition de notre institution, au moins sous son actuelle forme autonome et dans sa vocation nationale, que conduiraient les instructions de la ministre et du “jury” si elles devaient être suivies. (…)
Nos organisations syndicales demandent une concertation générale sur ce sujet, et exigent la mise en place, avant tout vote du conseil d’administration, d’un vrai référendum ou chacun-e pourra se prononcer en connaissance de cause. »
À l’appui d’une demande de référendum, l’opposant Claude Danthony précise à AEF : « notre CA est composé de 12 membres élus, de 12 membres extérieurs et d’un président. Si nous avions un CA avec plus d’élus et des personnalités extérieures parmi lesquelles étaient représentés les anciens élèves comme c’est le cas à l’Insa de Lyon, la perte de l’autonomie de l’ENS ne passerait pas ».
Cette demande de référendum avait déjà été exprimée à deux reprises lors du conseil d’administration du 16 décembre, sans réponse du président. Elle est désormais relayée dans une pétition « décidée à l’issue d’une réunion ouverte à tous le 22 janvier 2020, à l’appel d’une intersyndicale », dont les organisateurs revendiquent déjà près de mille signatures (soit environ un tiers de l’école).
LPPR, université-cible : même combat ?
Surtout, les inquiétudes des étudiant⋅es et personnels de l’ENS, plutôt confidentielles ces dernières années, trouvent aujourd’hui un important écho dans le cadre d’une mobilisation plus générale contre la LPPR et les politiques d’enseignement supérieur et de recherche conduites par l’État.
Dès le 17 décembre, quelque deux cents étudiant⋅es et enseignant⋅es, dont près de la moitié est issue de l’ENS, s’en prend directement au CA de l’Université de Lyon, porteuse du projet de fusion :
Le 7 janvier, alors que le CA doit à nouveau se tenir, un nouveau rassemblement a lieu et dénonce la fusion, comme le rapporte Le Progrès.
À l’ENS, nombre des motions votées contre le projet de LPPR font également état d’une méfiance, voire d’une opposition à la fusion :
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Les étudiant⋅es et enseignant⋅es du département Lettres & arts rappellent que « la création de l’université-cible nuira de toute façon aux sciences humaines et particulièrement aux disciplines représentées par le département ».
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Le département des langues « demande que l’ENS sorte de l’université cible », affirmant que « le projet, s’il suit [les recommandations du jury], est inacceptable car les statuts envisagés remettent en cause l’existence même de l’ENS ».
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L’AG du département des sciences sociales « exprime [de] très vives inquiétudes » : « l’existence même de l’école, sa capacité à administrer ses formations et sa recherche, sont remises en cause par les récentes recommandations du jury Idex. Par ailleurs, rien ne nous assure à ce jour du maintien des formations assurées avec l’université Lyon 2, partenaire essentiel du département. Faute de garanties sérieuses, l’assemblée générale préconisera le retrait de l’école du projet d’université-cible. »
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Enfin, l’assemblée des délégué⋅es de formations, qui représente l’ensemble des formations de l’école, a elle aussi exprimé des « inquiétudes ».
Fait plus rare, des débats similaires ont lieu dans les filières scientifiques (même si les motions font mois partie de la culture locale du site sciences) : en biologie, en mathématiques, en physique, étudiant⋅es et enseignant⋅es manifestent un scepticisme croissant à l’égard de la fusion promise.
Ces oppositions multiples réussiront-elles à faire entendre raison à la présidence de l’école ? La suite au prochain épisode, le mouvement contre la LPPR devant encore s’étendre à la rentrée des congés universitaires.