Dans un arrêt daté du 25 juillet, la Cour des comptes épingle l’ancien agent comptable d’Université Jean Monnet de Saint-Étienne (UJM) : près de 150 000 € d’indemnités auraient été versées illégalement à quelques dirigeant⋅es de l’établissement, parmi lesquel⋅les les président⋅es Khaled Bouabdallah et Michèle Cottier. Qu’à cela ne tienne : plutôt que de procéder au remboursement, l’UJM a préféré faire voter par son CA une remise gracieuse effaçant l’ardoise…

Pris la main dans le sac

C’est le versement, de 2011 à 2016, de 143 000 € d’ « indemnités de formation continue » qui a retenu l’attention du Procureur général à la Cour des comptes. Ces indemnités avaient été versées :

  • aux président⋅es successif⋅ves de l’Université, Khaled Bouabdallah (jusqu’en 2015) et Michèle Cottier,
  • au vice-président chargé de la formation tout au long de la vie et directeur du service universitaire de formation continue,
  • à l’agent comptable lui-même,
  • à la directrice de la formation et de l’insertion professionnelle,
  • au DGS adjoint, devenu DGS en 2016.

Justification de l’opération : des dispositions réglementaires prévoient l’indemnisation des personnels effectuant des missions de formation continue en plus de leur service. Toutes ces personnes organisaient la formation continue : elles se sont donc grassement indemnisées… quand bien même ce travail faisait pleinement partie de leur obligation de service* (à l’exception de 9 000 € versés à la directrice de la formation et de l’insertion professionnelle) !

En somme, restent 134 000 € versés irrégulièrement en rémunération d’un travail faussement supplémentaire des dirigeant⋅es de l’université.

L’agent comptable de l’époque voit dès lors sa responsabilité engagée, faute d’avoir contrôlé la légalité de ces dépenses (on le comprend : il était l’un des bénéficiaires…), et il doit rembourser la somme à l’UJM sur ses deniers personnels.

C’est là qu’intervient Michèle Cottier : dans une délibération votée par son Conseil d’administration le 23 septembre dernier, la présidente de l’UJM aurait proposé une remise gracieuse de l’intégralité de la somme à l’agent comptable, qui verra donc ses dettes épongées si la DGFIP confirme cette remise !

Une décision qui a du mal à passer à l’UJM, d’autant plus que la présidence est actuellement en conflit avec l’ensemble des organisations représentant le personnel au sujet d’une enveloppe de 185 000 € de primes de fin d’année. Faute d’accord, cette enveloppe pourrait ne pas être utilisée.

De la probité des dirigeant⋅es universitaires

Il est effarant de constater la promptitude avec laquelle un CA d’université peut être mobilisé pour protéger le participant malchanceux d’une magouille qui a tout de même coûté plus de cent mille euros d’argent public à l’établissement : qu’on ne s’étonne pas, dès lors, de l’impression d’impunité que donnent nos dirigeant⋅es universitaires…

Mais le plus frappant reste que les autres bénéficiaires de ces malversations ne soient pas inquiété⋅es outre mesure : l’attribution des indemnités n’ayant pas été attaquée à l’époque, elles ne peut vraisemblablement plus être portée devant la Justice, de sorte qu’il n’est pas question d’exiger un remboursement. Le fin mot de l’histoire, concrètement, est très simple : l’UJM a fait cadeau de 134 000 € à quelques-un⋅es de ses dirigeant⋅es. Point final.

Cette affaire nous rappelle, s’il en était besoin, que les enjeux de pouvoir entre universitaires prétendûment désintéressé⋅es comportent (de plus en plus) souvent un volet « gros sous ». Qu’on songe seulement, en guise de conclusion, à la prise en charge illimitée des frais de bouche du président de l’Université de Lyon (Khaled Bouabdallah à nouveau, tout juste parti de l’UJM) votée le 15 décembre 2015 en CA :

Sans titre

Bon appétit.


(*) Ajout du 10 octobre : ce point fait par ailleurs depuis plusieurs années l’objet de débats juridiques, comme on nous l’indique sur Twitter. Le retrait du ministère dans ces débats, faisant peser toute la responsabilité sur les établissements, jette un autre éclairage sur la situation de l’agent comptable. Au reste, le montant de ces primes et les modalités de leur versement reste symptomatique d’une dérive des élites académiques.

(**) Ajout du 14 octobre : dans un mail adressé à tous les personnels de l’UJM, la présidente Michèle Cottier — par ailleurs candidate à sa réélection — indique qu’ « à l’UJM comme dans la plupart des universités françaises, les primes visées par l’arrêt de la Cour des Comptes ont été versées aux responsables des composantes et services en charge de l’organisation et de la gestion financière et comptable de la formation continue. Depuis 1985 et jusqu’en 2018, ces versements ont toujours été admis et validés par le ministère de tutelle et les conseils d’administration successifs ont approuvé les versements et les montants alloués. » Ce récit, par ailleurs tout à fait véridique, montre la dimension parfaitement institutionnalisée de ce genre de rémunérations « annexes », et pose plus de questions qu’il n’en résout : comment les élu⋅es des conseils d’administration se sont-ils faits les garants de ces pratiques ?

(***) Ajout du 15 octobre : AEF rapporte que l’Université Jean Moulin Lyon 3 a fait l’objet d’une procédure similaire (pour des montants nettement moindres au demeurant).

(****) Ajout du 28 janvier 2020 : c’est au tour de l’agent comptable de Lyon 1 de se faire épingler par la Cour des comptes, pour 54 000 € de primes touchées entre 2012 et 2016… Et de même, l’université s’apprête à voter une remise gracieuse. Pourquoi se priver.

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2 commentaires sur « À Saint-Étienne (mais pas que), petite goinfrerie en toute impunité »

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